Notre espèce, Homo sapiens, est
aujourd'hui la seule espèce d'hominidé sur Terre. Cette situation
est récente à l'échelle temporelle de l'évolution : elle ne dure
que depuis quelques dizaines de milliers d'années. Mais elle n'est
pas exceptionnelle : il y a 1,3 million d'années, Homo erectus
s'est aussi retrouvée la seule espèce d'hominidés vivante,
jusqu'il y a environ 800 000 ans. C'est ce qu'a souligné Jean-Jacques
Hublin dans la première leçon de son cours annuel au Collège de France, le 6 octobre dernier.
Néandertals et Dénisoviens :
c'est le titre du cours que Jean-Jacques Hublin donne cette année au
Collège de France. La séance du 6 octobre était intitulée La
diversification du Pléistocène moyen. Je n'en ferai le récit
exhaustif. J'encourage tous les amateurs de paléoanthropologie à la
visionner ici.
Jean-Jacques Hublin commence par
présenter un graphique rassemblant la plupart des espèces
d'hominidés créées par ses confrères. Très à jour, ce graphique
contient le spécimen d'Homo daté de 2,8 millions d'années
présenté au début de l'année 2015, Australopithecus deyreimeda, publié en juin, ainsi que le récent Homo naledi.
De façon surprenante d'ailleurs, sur ce graphique, Homo naledi,
pour lequel aucune date n'a encore été déterminée, est situé aux
environs de 2 millions d'années.
C'est un premier biais dans
l'argumentation : le site de Rising Star, qui a livré les seuls
restes d'Homo naledi pourrait tout aussi bien dater d'un million
d'années. Et de façon plus générale, le fait de porter sur le
même graphique des espèces définies sur un seul site, pour une
seule date, tel, Homo antecessor, dont les seuls spécimens reconnus
proviennent du site de la Gran Dolina d'Atapuerca, en Espagne, et
d'autres reconnues sur un grand nombre de sites et sur plusieurs
continents, tel Homo erectus, fausse le raisonnement.
Peut-être n'a-t-on simplement pas encore trouvé d'autres spécimens plus
anciens ou plus récents d'Homo antecessor par exemple.
Peut-être aussi, finalement, Homo
antecessor n'est-il qu'un Homo erectus?
L'exemple du site de Dmanisi, où les paléontologues ont trouvé
dans les mêmes couches sédimentaires des crânes d'hominidés à la
morphologie assez diversifiée, est édifiant. Classés dans les
années 1990 dans la nouvelle espèce Homo georgicus,
ils ont depuis été réintégrés à Homo erectus.
De la
même façon, on peut se demander si les différents groupes issus
d'Homo erectus, selon
la présentation qu'en fait Jean-Jacques Hublin,
en particulier Homo sapiens, Homo neanderthalensis, Homo floresiensis
ou encore les « hommes de Denisova » (qui n'ont,
prudemment, pas reçu de nom classificatoire officiel), ne seraient
pas différentes formes de la même espèce, à la variabilité biologique plus grande
qu'aujourd'hui.
Cette
question prend d'autant plus de ses à la lumière des résultats
présentés par Svante Pääbo, de l'Institut Max Planck de Leipzig,
en Allemagne, lors du séminaire qui a suivi le cours de Jean-Jacques Hublin (séminaire dont je recommande aussi le visionnage). Avec son équipe, celui-ci a en effet caractérisé
génétiquement des différences significatives entre notre lignée,
celle des neandertaliens, et celle des denisoviens, représentés
seulement par une dent et un morceau de phalange provenant d'un seul
site en Sibérie. Mais il a aussi montré qu'il y a eu des
croisements entre ces trois lignées. Qui plus est, ces croisements
ont eu lieu à différentes époques, et dans des régions
différentes.
Très
prudemment, Svante Pääbo s'abstient de parler d'espèces. Il me l'a
confirmé lorsque je lui ai posé la question. Jean-Jacques Hublin,
même s'il partage en partie cette prudence, en mettant en garde sur
le statut des groupe taxinomiques qu'il présente, insiste, lui, sur
les différences entre les groupes humains. Si des hommes modernes et
des néandertaliennes, ou des femmes modernes et des neandertaliens,
se sont accouplés, c'est parce que l'homme s'accouple avec tout ce
qui passe à sa portée, m'a-t-il expliqué en substance à la fin du
séminaire. Pas parce qu'il y aurait eu une proximité écologique ou
culturelle.
Je
connais nombre de préhistoriens, notamment des spécialistes de la
culture matérielle, qui ne partagent pas ce point de vue. Il est
dommage que les cours et séminaires du Collège de France ne soient
pas l'occasion de plus de débats entre scientifiques devant le
public. Celui-ci comprendrait d'autant mieux l'intérêt de la
recherche qu'il identifierait les questions ouvertes.