lundi 22 juin 2015

Lascaux 4 et l'archéologie

Mardi 23 paraîtra dans L'Humanité un petit article que j'ai écrit après ma visite à l'Atelier des fac-similés du Périgord (AFSP), qui travaille en ce moment, et pour encore de nombreux mois, à la fabrication d'une réplique quasi complète de la grotte de Lascaux. Cette réplique prendra place dans le bâtiment du Centre international de l'art pariétal, actuellement en construction à Montignac. Je vous livre ici quelques remarques à propos des liens entre ce travail de réplique et l'archéologie, qui sortaient du cadre de l'article.

D'abord, le travail de reproduction "à l'identique" n'implique pas que les peintres et les graveurs contemporains cherchent à reproduire les gestes de leurs prédécesseurs d'il y a environ 18 000 ans. Seul le résultat compte! Par exemple, les gravures sont systématiquement réalisées d'abord, quelle que soit leur position réelle par rapport aux dessins et aux peintures. La couleur est déposée autour, ou au fond des traits, selon ce que l'on observe aujourd'hui.

Pas d'archéologie expérimentale donc dans cette fabrication de réplique, pas de tests d'hypothèses sur la façon dont a été peint tel ou tel ensemble de figures. Les délais, très brefs (31 mois pour 950 mètres carrés de panneaux), ne le permettaient pas. Et la reproduction de zones où les peintures ont été très dégradées par les courants d'air sur les parois nécessite de ne peindre que les résidus de celles-ci.

Ensuite, concernant les gravures, j'ai longuement discuté avec Gilles Lafleur, l'un des principaux artistes de l'AFSP. Dans le Passage, par exemple, mais aussi dans l'Abside et dans la Nef, trois parties de la grotte qui n'avaient pas été reproduites pour Lascaux 2 (certains panneaux de la Nef sont présentés dans l'exposition dite Lascaux 3, ainsi que dans le centre d'interprétation du Thot), les gravures présentes sur les parois sont extrêmement nombreuses, et très enchevêtrées. Et elles n'ont jamais été étudiées complètement.

Les travaux de l'abbé Glory, dans les années 1950 et 1960, se sont arrêtés en 1963, à la fermeture de la grotte au public. Et sa mort brutale, dans un accident de voiture en 1966, ne lui a pas laissé le temps de publier ses résultats. Ses calques de relevé, retrouvés en 1999, ont été numérisés, et sont utilisés par Gilles Lafleur, qui les a recollés numériquement sur le modèle 3D de la grotte issu du relevé laser. En étudiant attentivement l'ensemble, afin de préparer le travail de gravure, il a découvert plus d'une centaine de figures animales supplémentaires, soit une augmentation de près de 15%.

Malheureusement pour l'archéologie, Gilles Lafleur n'est pas préhistorien. Et il n'a pas le temps, il a une grotte complète à reproduire (avec une trentaine de collègues quand même). J'ai donc senti qu'il était peu probable qu'il publie un jour ses résultats. Ce serait pourtant diablement intéressant. En particulier, cela équilibrerait peut-être les comptages par espèces des animaux représentés dans la grotte. Les spécialistes d'art pariétal préhistorique sauront-ils faire taire leurs querelles, afin que des doctorants soient autorisés (que dis-je, soutenus et encouragés) à étudier ces gravures à partir de la modélisation numérique de la grotte? Connaissant le milieu, hélas, je n'y crois pas trop.



vendredi 19 juin 2015

Déjeuner de fouilles

Ma dernière visite prévue, Lascaux 2, était terminée. Avant de quitter la Dordogne, je me suis toutefois arrêté à Montignac afin de m'approvisionner en produits locaux, toujours appréciés des autochtones de la banlieue parisienne. Bien m'en a pris : j'y ai rencontré un préhistorien!

Bruno Maureille, directeur du laboratoire PACEA du CNRS et de l'université de Bordeaux sortait de plusieurs rendez-vous consacrés à un site local dont il souhaite relancer les fouilles. Il se dirigeait vers un magasin du type de ce que je visais : rendant visite pour le déjeuner à une équipe de fouille, il souhaitait leur apporter un peu de foie gras, de magret et de boisson légèrement alcoolisée pour faire descendre. Sa longue fréquentation des lieux lui ayant donné une bonne connaissance des adresses utiles en pareil cas, je l'ai suivi. Et après nos approvisionnements respectifs, j'ai continué à le suivre, en voiture cette fois, jusqu'au village du Moustier.

Là, une équipe dirigée par Bradley Gravina était en pleine pause méridienne, à même le sol. Munis des provisions, nous avons rejoint la partie. La vie est dure pour les fouilleurs (en l'occurrence, j'ai vu déjà des conditions logistiques meilleurs pour de telles fouilles).

Le site fouillé l'a déjà été. Mais avant la Première Guerre mondiale, par Otto Hauser, puis par Denis Peyrony, qui y ont chacun trouvé des sépultures neandertaliennes. Le squelette dégagé par Hauser est parti à Berlin, où il a été en grande partie détruit par les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale. Celui dégagé par Peyrony, un enfant,  s'était perdu dans les réserves du Musée national de préhistoire, jusqu'à ce que Bruno Maureille le redécouvre et l'étudie, au milieu des années 1990.

Bref, ce site n'a jamais été fouillé avec des méthodes modernes. Il s'agit pour les préhistoriens de réviser les associations réalisées par Peyrony entre la faune et les "techno-complexes lithiques" (les modes de tailles et les types d'outils retrouvés) pour chacune des couches. Ils n'en sont qu'au tout début, mais ils auront de quoi faire, tant ils retrouvent d'outils (et de faune, dans certaines couches).

J'ai compris que le public serait accueilli sur place lors des prochaines journées nationales de l'archéologie. Si vous êtes dans le coin, allez-y.

jeudi 18 juin 2015

Intelligent, l'homme de Cro-Magnon?


Grand groupe de visite à Lascaux 2 : une trentaine de personnes à la fois. Un départ toutes les dix minutes. On est un peu plus dans le tourisme que dans la préhistoire. Mais il faut se faire une raison : tout le monde veut voir Lascaux, et il n'y a pas de raison que ce ne soit pas possible, depuis qu'il y a une réplique de la grotte.

J'ai donc suivi une visite de 40 minutes. En traînant un peu en arrière du groupe, j'ai tenté de retrouvé les impressions procurées par la grotte originale (on ne peut pas tellement traîner, en fait, car un groupe chasse l'autre). Et ce n'est pas si mal. Rien à voir avec le fait de regarder des photographies dans des livres ou sur Internet.

J'ai été frappé, là comme hier au Thot d'ailleurs et, à la réflexion, dans tous les sites que j'ai visités dans ce bref séjour périgourdin, par l'insistance des guides sur le fait que ces peintures et dessins n'avaient pas été faits au hasard. Les « hommes de Cro-Magnon », répètent-ils, sont nos ancêtres directs et ils avaient les mêmes capacités intellectuelles que nous. Il semble en effet que ce ne soit pas une évidence à l'esprit du grand public (au contraire sans doute des lecteurs de ce blog).

J'en ai d'ailleurs fait l'expérience direct. Un père qui visitait Font-de-Gaume et dont j'ai qualifié en plaisantant le fils de 2 ans et demi de « petit Cro-Magnon » m'a dit « Il est un peu plus malin que ça ». J'espère que son séjour dans la région et ses différentes visites (je l'ai revu à Rouffignac, au Cap Blanc et à Lascaux 2) lui auront permis de changer de regard sur la préhistoire.

Les efforts pour construire des répliques des grottes ornées telles que Pont d'Arc ou Lascaux sont certes motivés d'abord par le soucis des collectivités locales de soutenir l'activité touristique. C'est une bonne chose. Mais l'écho médiatique que reçoivent ces sites, et l'affluence qui devrait s'ensuivre, auront peut-être aussi pour effet de diffuser une culture sur la préhistoire qui fait cruellement défaut. Si l'on évite en plus de répandre des sornettes à propos du chamanisme, ce sera parfait.

mercredi 17 juin 2015

Approcher Lascaux

Il y a en ce moment à Paris une très belle exposition consacrée à Lascaux. Le "clou" de cette exposition est constitué par cinq panneaux qui reproduisent à l'identique des fragments de la grotte. Fragments que l'espace Lascaux 2, à Montignac, ne présente pas.

Ces panneaux sont aussi présentés dans le centre d'interprétation du Thot, à Thonac, à quelques kilomètres de Lascaux. De la même façon, des éclairages changeants permettent de voir successivement les peintures et les gravures (qui dessinent parfois les mêmes figures, mais pas toujours). Un mode "lampes à gaz" restitue une lumière fluctuante, comme devait l'être celle que produisaient les lampes à graisse du Paléolithique. J'ai en outre eu la chance de bénéficier d'explications de la part d'une médiatrice fort compétente.

Elle m'a par exemple fait des commentaires sur la frise où cinq têtes de cerfs sont représentées à la file. Certains suggèrent que ce serait en fait le même cerf dans différentes positions, en train de traverser une rivière. L'exposition parisienne soutient d'ailleurs fortement cette hypothèse en présentant un petit film montrant un animal réaliser cela. C'est assez convaincant. Oui mais : les bois des animaux sont assez différents les uns des autres. L'hypothèse d'une troupe de jeunes cerfs, rassemblés au moment du rut pour aller affronter un mâle plus âgé, n'est pas absurde!

Une petite galerie associe restitutions de scènes de la vie préhistorique et video de reconstitutions des gestes (de la même série que celles du musée des Eyzies, et commentées elles aussi par la chaude voix de Jean-Michel Geneste, longtemps conservateur de la grotte). L'ensemble est axé sur les objets retrouvés dans la grotte de Lascaux : lampe à graisse, sagaies en ivoire, pointes en pierre. Une bonne approche de l'archéologie du site.

Il y a aussi au Thot un parc animalier. C'est sans doute une ballade agréable pour les familles, d'autant qu'on trouve aussi des espaces d'animation pour les jeunes, qui doivent fonctionner à plein pendant la saison touristique. Mais je me suis quand même interrogé sur la présence de chèvres et de daims (absents de nos régions au Paléolithique), et sur l'absence totale d'explications à propos des aurochs (disparus au XVIe siècle, et "reconstitués" au XXe siècle).

mardi 16 juin 2015

Ah! Que la préhistoire est aride

Après le temps des grottes est venu pour moi celui des musées, centre d'interprétation et autre réplique. Il a démarré par un passage éclair au Pôle international de préhistoire, aux Eyzies-de-Tayac. Je n'ai pas compris l'intérêt de ce lieu pour le public.

Quelques éléments d'histoire de l'homme ; un comparatif Homo sapiens / Neandertal, avec des reconstitutions "dermoplastiques" par Elisabeth Daynes (dont le travail est décidément omniprésent dans la région) ; un petit film sur les évolutions climatiques aux Eyzies-de-Tayac depuis 450 000 ans. Rien qui n'ait aussi sa place au Musée national de préhistoire installé à quelques centaines de mètres.

Il semble qu'il y ait dans cet espace des expositions temporaires de petite taille. Une exposition de photographies était en cours de montage. Je n'ai pas réellement pu voir l'exposition sur "Lascaux 4" installée au niveau inférieur, celui-ci étant occupé par une rencontre de Pôle Emploi. Mais ce n'est pas grave, j'aurai l'occasion d'y revenir dans les prochaines semaines.

Il y a aussi un centre de documentation fort bien fourni. Mais à qui sert-il? Pas au touriste de passage en tous cas.

Ensuite, direction Musée national de préhistoire. Il a été entièrement refait il y a un peu plus de dix ans, et est installé dans un bâtiment moderne accolé à l'ancien château. Celui-ci abritait, depuis les années 1910, des collections d'objets et d'ossements retrouvés dans la région, à l'initiative de l'instituteur des Eyzies (et préhistorien) Denis Peyrony.

L'exposition a un souci pédagogique indéniable. On commence aux origines de l'homme, accueillis par les restes de Lucy, Australopithecus afarensis, à côté d'un mur qui présente la situation dans le temps de la plupart des espèces d'hominidés connus. Le pari des muséographes est sans doute d'accrocher l'intérêt du public sur un fossile archi connu. J'ai quand même été étonné de ne pas trouver quelque part le crâne de Toumaï.

On passe ensuite sur la piste de Laetoli, traces de pas laissés, là encore, par des Australopithecus afarensis (si, après ça, le visiteur n'est pas convaincu que ce sont nos ancêtres!). Et en remontant un large escalier en colimaçon, on rencontre les outils de Lokalalei, au Kenya, datés de 2,4 millions d'années, les fossiles de Dmanisi (les premiers européens connus), et un certain nombre de coupes stratigraphiques régionales, sans commentaires. Devant les outils de Lokalalei, je me suis dit que décidément, les archéologues compliquent la vie des responsables de musée : les plus anciens outils sont maintenant datés de 3,4 millions d'années. Il faudrait, en toute rigueur, modifier l'exposition. Mais jusqu'à quand?

Le musée nous conduit ensuite à travers le Paléolithique, avec une exposition en trois mouvement. Une immense vitrine, qui s'étend sur tout l'étage, tente de faire ressentir la longue chronologie, la succession des différentes faunes et des différentes cultures dans la région, en présentant quantité de pièces trouvées dans les fouilles. Une suite de vitrines plus petites présente d'une part les outils caractéristiques de ces différentes cultures, et quelques sites significatifs (notamment des sépultures d'enfants neandertaliens). Et une série de niches permettent de voir des video présentant des reconstitutions les gestes réalisés par ces hommes dans leurs activités quotidiennes.

Le second étage est moins fourni. Au sol, on marche sur des vitres recouvrant des moulages de sites. Et les vitrines sont plutôt consacrées à l'art mobilier. On termine, sur la terrasse, à côté d'une statue de Cro-Magnon, en regardant avec celle-ci le confluent de la Vézère et de la Beune. Et de cette position, on comprend bien pourquoi des hommes ont fréquenté ce site depuis plus De 400 000 ans : la vue sur la plaine devait permettre de vori arriver le gibier. Et, à peu près à mi-falaise, on est à l'abri des inondations.

En parcourant ce musée, qui présente des centaines de pierres taillées et d'ossements d'animaux, on saisit combien il est aride de faire de la préhistoire. Avant de nous raconter toutes les belles histoires qui nous font rêver et nous instruisent sur la vie de nos ancêtres, que d'heures passées à fouiller très précisément des mètres cubes de terre! Que d'heures passées à essayer de comprendre l'organisation d'un site, où le profane ne voir que des cailloux répandus, avec éventuellement des changements de couleur par endroits.

Car dans ces vitrines qui présentent autant d'outils, j'avoue avoir bien du mal à reconnaître la typologie de nombre d'entre eux. Pourquoi un "grattoir" est-il nommé ainsi? En quoi est-il "denticulé"? Le touriste de passage doit se sentir un peu perdu devant tant de technicité nécessaire.


lundi 15 juin 2015

Rouffignac


J'ai bien mieux commencé ma deuxième journée périgourdine que la première. Instruit par l'attente de la veille à Font-de-Gaume, j'avais pris de l'avance et je suis arrivé vers 9h15 devant l'entrée de la grotte de Rouffignac, qui ouvre à 10h en cette saison. Après un tour complet jusqu'au bout de l'impasse, je suis revenu sagement me garer dans un parking vide et j'ai redescendu à pieds les quelques dizaines de mètres qui me séparaient de l'entrée. J'ai attendu tranquillement, bientôt rejoint par un couple d'allemands, originaire d'Ulm, avec lesquels j'ai parlé de Blaubeuren et des statuettes paléolithiques des grottes du Vogelherd, de Geissenklösterle et de Hohle Fels situées dans les environs (et dont la plupart sont au musée de Tübingen).

A 10h, pas de chance, un car scolaire arrive, et ses jeunes passagers passent devant tout le monde : il faudra attendre la visite de 10h20. Rien de grave, car il fait beau, plutôt chaud même devant la grotte, et les groupes sont assez nombreux (20 à 25 personnes) : nous nous déplacerons en train dans la grotte. Une série de panneaux sous le porche raconte quelques étapes clés de l'étude des grottes ornées au début du XXe siècle, avec l'abbé Breuil en vedette.

La grotte de Rouffignac est connue depuis bien longtemps. Au XVIe siècle, un récit de voyageur mentionne même la présence d'animaux sur les parois. Et au XVIIIe ou XIXe siècles, des jésuites ont rampé jusqu'à une zone où le plafond est merveilleusement décoré, et y ont apposé leur monogramme : exorcisme? Ou action de grâce pour de si grandes merveilles? On en le saura pas plus que les intentions des hommes qui, il y a13 000 à 15 000 ans, sont venus graver et dessiner signes, animaux et figures humaines dans les recoins les plus inaccessibles.

Ce n'est qu'en 1956 que des préhistoriens ont redécouvert ce site, et en ont identifié les peintures comme préhistoriques. L'incontournable abbé Breuil était encore de la partie.
La grotte est une propriété privée. Les propriétaires ont, je l'ai écrit, fait installer un petit train, électrique, pour permettre la visite. La taille imposante des galeries a permis d'éviter de trop grandes modifications. Toutefois, à l'extrémité du parcours, une tranchée a été pratiquée, et on tient largement debout sous le plafond décoré (celui orné aussi par les jésuites), alors que ceux qui ont réalisés les figures devaient progresser au mieux à quatre pattes, et ont réalisé leur travail couchés sur le dos, en levant simplement les bras. Le guide nous fait remarquer un très grand cheval, que son dessinateur lui-même n'a jamais vu en entier.

Bien sûr, Rouffignac est « la grotte aux mammouths » (160 selon le dernier comptage), et on voit donc des mammouths. Plus ou moins réalistes ou stylisés ; des jeunes et des vieux ; des mâles bien identifiables, et des femelles probables. En plusieurs endroits, ces mammouths forment des compositions : deux mammouths affrontés, à plusieurs reprise ; une frise de dix mammouths formant deux groupes en sens inverse. On voit aussi des bisons, des chevaux, des rhinocéros.
J'étais un peu inquiet au démarrage du côté « petit train touristique » de la visite. D'autant que le guide parle, de l'arrière du train où il pilote, dans un micro. Mais il s'avère que le dispositif est bien adapté à la grotte. Un peu en hauteur, on voit mieux les représentations. Et pour admirer le plafond, on descend du train. Le guide, lui, était disponible aux questions, et assez compétent.

Cinq étoiles pour Rouffignac!

samedi 13 juin 2015

Les Combarelles


J'ai pris une claque! Rassurez-vous, au figuré seulement. J'avais commencé la journée par la visite de la grotte de Font-de-Gaume. Je l'avais poursuivie par celle de l'abri du Cap Blanc. Je l'ai terminée (en ce qui concerne les visites) à la grotte des Combarelles, ornée elle aussi au Magdalénien, et située à 2 kilomètres seulement de Font-de-Gaume. J'en suis ressorti, après presque une heure, comme sur un nuage.


Les groupes de visite sont limités à sept personnes. Dans les passages étroits de ce long couloir, qui tourne parfois à angle droit, c'est un maximum pour bien voir les gravures sur la paroi. C'est aussi une mesure de conservation : pas trop de chaleur, pas trop de dioxyde de carbone, etc. La température doit rester à 11°C dans la cavité.

Mais ce petit nombre permet aussi de se rapprocher, si c'est possible, de l'atmosphère qu'ont connu les préhistoriques dans ce tunnel. Certes, on n'est pas, comme eux, obligé de se mettre à quatre pattes, voire de ramper : le sol a été considérablement abaissé pour permettre les visites (travaux qui ont d'ailleurs entraîné quelques dégradations des parois). Certes on bénéficie d'éclairage électrique ; mais celui-ci est intelligemment limité au niveau du sol, ce qui permet, quand on lève la tête, de trouver une relative obscurité.

Bien sûr, cette grotte, comme celle toute proche de Font-de-Gaume, s'est fortement dégradée depuis que des Magdaléniens sont venus y dessiner, peindre et graver des animaux, des figures humaines et des signes géométriques, il y a environ 15 000 ans. Elle non plus, n'a jamais été fermée, et l'air et l'eau ont continué à y circuler. Ainsi, les premières gravures vraiment visibles sont à au moins 100 mètres de l'entrée. Et si des traces de peinture subsistent sur les parois, ce sont essentiellement des coulures, l'eau ayant lessivé celles-ci. Nous n'avons vu qu'un seul dessin, un magnifique bouquetin tracé en noir.

Mais la guide nous a laissé le temps de regarder, de contempler, les gravures qui, elles, ont mieux résisté au temps que les peintures. Après quelques explications, un pointage sur la paroi pour nous révéler la figure (ce n'est pas toujours facile), silence. Et là c'est magique, on s'approche réellement de l'oeuvre.

Alors bien sûr j'aimerais bien avoir plus d'explications. Des suggestions sur l'organisation des scènes, éventuellement sur le sens possible des compositions. L'étude de cette grotte est loin d'être terminée (et il faudra bien du courage à ceux qui la poursuivront, pour démêler toutes les représentations qui parfois s'enchevêtrent, souvent sont cachées par d'épaisses couches de calcite. Mais visiter un tel site, c'est aussi ressentir de l'émotion devant des réalisations faites il y a 15 000 ans, par des hommes et des femmes dont je ne comprendrai jamais les motivations, mais dont je partage l'humanité.

vendredi 12 juin 2015

Abri de Cap Blanc


Je n'avais pas prévu de visiter l'abri de Cap Blanc le même jour que les grottes de Font-de-Gaume et des Combarelles. Mais comme celui-ci n'est qu'à 7 kilomètres de la première, et que les horaires de visites étaient assez espacés, j'ai demandé un créneau (je voulais aussi rentabiliser mon attente sous la pluie). Je n'ai pas regretté.

L'abri de Cap Blanc est, comme son nom l'indique, un abri sous roche : un creusement au pied d'une falaise. Etait, plutôt, car une grande partie du plafond s'est effondrée, dès la préhistoire. Aujourd'hui toutefois, on a plutôt le sentiment d'être dans une grotte : un bâtiment a été construit il y a presque 25 ans, afin de protéger la paroi rocheuse.

Et s'il est important de protéger la paroi rocheuse, c'est qu'elle est sculptée, sur une vingtaine de mètres de large. Elle présente, dans une magnifique composition avec un relief saisissant, des chevaux, des bisons, et quelques animaux mal identifiés. Le style indique que les sculpteurs appartenaient à la même culture que ceux qui ont réalisé les sculptures d'Angles-sur-l'Anglin, dans la Vienne : le Magdalénien moyen. Les fouilles, menées au début du XXe siècle, ont hélas été trop radicales pour permettre de poser des repères chronologiques plus précis : aucun repérage des niveaux culturels, pourtant présents, par rapport à la paroi ; aucune attention non plus aux blocs rocheux tombés au sol.

La visite, précédée par celle d'un petit espace de musée installé dans le bâtiment (avec notamment une fresque de Gilles Tosello, et une reconstitution d'Elisabeth Daynes), n'est pas très longue. Mais l'espace ménagé le long de la paroi est suffisant pour que l'on voie bien l'ensemble des caractéristiques de la frise. Et le guide, très compétent et très passionné (il n'a pas été insensible au T-shirt "Pincevent" que je portais, et qui lui a permi d'énumérer une partie de la faune chassée au Magdalénien) n'était pas avare d'explications de toute sorte.

La taille réduite de ce qu'il y a à voir permet de le voir vraiment. Et d'essayer d'imaginer que ce mur sculpté était, en plus, peint en rouge (seules des traces très ténues de pigments subsistent aujourd'hui). On rêve de ce que l'on pouvait voir, il y a 15 000 ans, sur les falaises de la vallée de la Beune, où est situé Cap Blanc, et plus généralement dans les abris sous roche, aujourd'hui effondrés et recouverts de sédiments. En attendant, vous pouvez vous faire une idée sur le site du Ministère de la Culture consacré à cet abri.

jeudi 11 juin 2015

Font-de-Gaume


J'ai dormi à Marquay, et l'hôtelier m'avait suggéré de partir vers 8h30 pour aller faire la queue un peu en avance au guichet de la grotte de Font-de-Gaume, aux Eyzies-de-Tayac, qui ouvre à 9h30. Il avait raison. Après une bon quart d'heure de route sous la pluie, je suis arrivé sur la parking du site. Devant la vieille baraque en bois qui sert de billetterie et de librairie (pour les toilettes, montez les 400 mètres vers la grotte!), une bonne trentaine de personnes se pressaient déjà, qui sous les très maigres auvents, qui sous des parapluies. Bien entendu, je n'avais rien prévu de ce point de vue, et j'ai donc patienté une bonne heure sous une pluie d'intensité variable.


L'une des employées du site à laquelle j'ai posé la question m'a expliqué qu'effectivement, ils demandaient depuis plusieurs années la construction d'un auvent. Elle a reconnu aussi en souriant que la billetterie pourrait elle-même être classée monument historique. Et qu'un système de réservation par Internet ne serait pas de refus : il arrive parfois que des touristes mécontents de la façon dont se déroule la queue en viennent aux mains.
Heureusement, j'ai bénéficié de l'une des 52 entrées mises en vente quotidiennement pour visiter la grotte de Font-de-Gaume. J'en ai profité pour réserver aussi les visites de l'abri du Cap Blanc et de la grotte des Combarelles (30 personnes par jour seulement, mais c'est moins demandé). Je parlerai de ces deux sites dans d'autres posts.
Une vingtaine de minutes avant le début prévu pour ma visite, j'ai entrepris la petite ascension vers l'entrée de la grotte. Les 400 mètres de sentier sont bien aménagés, avec même des bancs le long du chemin (mais vu l'humidité ambiante, personne de les a utilisés aujourd'hui). Et je suis arrivé devant l'entrée.


Après tous ces efforts, une demi-heure de visite, c'était vraiment court. D'autant que le nombre de visiteurs par groupe, même réduit à 13, l'éclairage ambiant de la grotte, assez important, et l'aménagement de celle-ci (marches, sol égalisé) n'aident pas vraiment à se plonger dans l'ambiance qui devait y régner au Paléolithique. J'avais pourtant gardé une vive impression de m'être trouvé un bref instant dans l'obscurité, à la faveur d'un passage étroit, lors d'une précédente visite en 1982 (autant dire pendant la préhistoire!).
Mais sans doute suis-je un peu exigeant. Et bien entendu, la taille réduite de la cavité, et la dégradation assez sévère de la plupart des peintures, incitent les conservateurs à la prudence. Non seulement le nombre de visiteurs quotidien est limité, mais aussi leur temps de présence dans la grotte.
Alors, que voit-on en visitant Font-de-Gaume? Des bisons, et même des défilés de bisons. Certains sont juste tracés, d'autres complètement peints. Les plus beaux sont sans doute ceux qui ont été recouverts pendant des millénaires par une couche de calcite. A la fin des années 1960, nous dit la guide, les archéologues ont enlevé la calcite, avec un marteau en plastique. Le peintures ainsi dégagées sont de loin les plus fraîches en apparence. Comme à Arcy-sur-Cure, il faudrait peut-être aujourd'hui venir avec des fraises de dentiste pour dégager encore d'autres figures.
On voit aussi des rennes, en particulier une scène où un renne noir lèche le front d'un renne rouge. Les gravures qui accompagnaient les peintures (sous-jacentes, destinées à rehausser les traits, comme à certains endroits à Pont d'Arc? La guide ne sait pas) permettent de voir un peu ces figures, surtout le renne rouge en partie effacé. On voir enfin des tectiformes, mystérieux signes dont l'abbé Breuil pensait que c'étaient des toits de huttes, mais qui pourraient tout aussi bien représenter des flèches, ou plein d'autres choses (la marque de reconnaissance d'une « tribu », une indication géographique, un code pour la recette du foie gras aux cèpes, on ne sait vraiment pas).
L'ensemble est daté du magdalénien, pour des raisons stylistiques. Les peintures sont exclusivement à base de pigments minéraux, et donc le carbone 14 ne peut rien. Et la calcite est trop récente (environ 10 000 ans) pour donner des indications utiles.
Au final, la guide nous renvoie vers le site Web consacré à Font-de-Gaume, qui propose en particulier une visite virtuelle. Avec un écran assez grand, pourquoi pas. On peut aussi lire le seul livre disponible consacré à la grotte, publié l'an dernier par Jean-Jacques Cleyet-Merle aux Editions du Patrimoine.