L'emballement médiatique en fin de
semaine dernière à propos de la découverte d'Homo naledi
dans le site sud-africain de Rising Star s'est révélé inversement
proportionnel à sa durée et à la distance critique apportée par
la plupart des confrères sur le sujet. J'ai pris le temps de lire en
détail les deux articles scientifiques, publiés dans eLife, revue
gratuite (je vais y revenir), de visionner la conférence de presse
qui a annoncé la découverte, et de parler
avec quelques paléoanthropologues après qu'ils aient eux-mêmes lu
les articles (ce qu'aucun d'entre eux n'avait pu faire avant
l'annonce). C'est pourquoi mon analyse ne vient que presqu'une
semaine après l'annonce. Et pour ne pas noyer mes lecteurs, je l'ai
découpée en trois posts, publiés sur trois jours : un petit
feuilleton bien justifié par l'importance de la découverte.
Les questions qui intéressent la
plupart des personnes qui suivent ces questions concernent la
classification possible de ces nouveaux fossiles : s'agit-il d'une
nouvelle espèce? Comment la positionner par rapport à ce que nous
connaissions précédemment? Nous informe-t-elle sur l'évolution
humaine, et de quelle manière? Mais pour ménager un peu de suspens,
une fois n'est pas coutume, je n'en traiterai que dans mon second
post. Le troisième sera consacré à l'étonnant site de la
découverte.
D'abord, et pour lever toute ambiguïté,
la reconnaissance de l'importance des découvertes est unanime. Nulle
part ailleurs dans le monde on n'a retrouvé autant de restes
d'hominidés (environ 1 500 pour l'instant) si concentrés et si bien conservés. D'un coup, on a la
photographie d'une populations, avec différentes catégories d'âge.
Quelles que soient les interprétations que l'on en fera (et que l'on
en fait déjà), Rising Star est l'un des sites les plus importants
pour la paléoanthropologie. Personne ne remet cela en question.
Il me semble toutefois important, pour
commencer, de revenir sur les conditions de l'annonce et de la
publication. Contrairement aux habitudes en vigueur dans le domaine,
l'annonce a été faite lors d'une conférence de presse, jeudi 10
septembre, sans que les articles scientifiques aient été
préalablement diffusés à la presse. Cette pratique, l'embargo,
permet aux journalistes, notamment aux journalistes spécialisés, de
faire correctement leur travail. Par exemple d'envoyer ces articles à
des scientifiques experts, pour que ceux-ci puissent faire des
commentaires éclairés sur les revendications des auteurs. Là, rien
de tel. Et ce n'est pas faute, en ce qui me concerne, d'avoir
sollicité de façon continue, et encore ces dernières semaines,
l'un des principaux auteurs, qui m'avait laissé entrapercevoir
quelques photos des fossiles il y a bientôt un an lors d'un colloque.
La conséquence de cela a été un
emballement médiatique totalement incontrôlé. Les rédactions en
chef de journaux habituellement indifférents à la science ont exigé
de pouvoir en parler rapidement. Les journalistes en poste ont fait
ce qu'ils ont pu. L'article du Monde est édifiant à cet
égard : Hervé Morin a interrogé Michel Brunet et Yves Coppens qui
n'avaient manifestement pas lu les articles, et qui ne font que des
remarques assez générales ; et il a cité Tim White cité par TheGuardian. Et c'est l'un des meilleurs articles que j'ai vu
passer en français.
La conférence de presse elle-même,
visible sur Youtube, est un exemple de fusion entre la science, la
politique et le spectacle. Lee Berger, le principal auteur, ne
commence à y parler en effet précisément de la découverte qu'au
bout de 36 minutes, et cela ne dure qu'à peu près 30 minutes, sur
1h40. Pour le reste, le vice-président Cyril Ramaphosa, le vice
chancelier de l'Université de Witwatersrand et un responsable de
National Geographic font savoir comme tout cela leur fait plaisir et
est important pour eux.
Les deux premiers cités revendiquent
aussi abondamment le fait que la publication soit faite dans une
revue électronique en accès libre : c'est « gratuit pour 7
milliards d'humains », dit même l'un d'eux. Et une
intervention video de Randy Schekman, américain, prix Nobel de
physiologie/médecine en 2013, fondateur et directeur de la revue
eLife où les articles sont publiés vient appuyer le propos. Je
m'interroge toutefois : si le but est la diffusion gratuite de la
science sud-africaine, pourquoi Lee Berger et ses collègues ont-ils
soumis 12 articles à Nature (ils sont en cours de révision),
détaillant les différents aspects de leur découverte? Nature
n'est pas (encore?) en accès libre. Et pourquoi National Geographic,
qui n'est pas non plus un magazine gratuit, est-il omniprésent dans
la communication?
J'ai quelques hypothèses pour répondre
à ces question. Elle ne sont pas exclisives les unes des autres.
1/ Lee Berger, dont de précédentes
annonces ont été fort controversées (par exemple celle d'uneprétendue population d'hommes nains sur l'île de Palau, en 2008), aurait
décidé de faire bras d'honneur au système classique. Il jugerait sa
position assez forte, avec la grande quantité de fossiles collectés,
pour se passer de celui-ci (mais alors pourquoi ses publications sous
presse dans Nature?) ;
2/ il aurait saisi l'occasion pour sécuriser
l'intérêt gouvernemental pour la recherche paléoanthropologique et
les financements afférents. Permettre au vice-président de se faire
mousser sur un sujet aussi consensuel est de bonne politique (lors de
la conférence de presse, les allusions de celui-ci sur la
crédibilité qu'il accorde désormais au vice chancellier de
l'université de Witwatersrand plaide en ce sens) ;
3/ la publicité faite à Lee Berger aurait
pour but d'attirer à lui les prochaines découvertes faites au
hasard par des spéléologues ou des promeneurs. Le site de Rising
Star lui a en effet été « apporté » par des
spéléologues qui avaient remarqué des ossements lors de leurs
explorations en 2013 (de précédents visiteurs étaient restés plus
discrets). La concurrence est rude entre paléoanthropologues en
Afrique du sud pour la connaissance et l'accès aux sites ;
4/ la stratégie publicitaire aurait été
demandée par National Geographic, qui a financé en partie
les fouilles, et qui veut un retour sur investissement : dans le
monde entier, des lecteurs alléchés par les annonces médiatiques
peu précises vont légitimement vouloir acheter des magazines
détaillant la découverte et sa signification. Il n'y en a qu'un
pour l'instant : National Geographic, avec toutes ses
déclinaisons nationales à brève échéance ;
5/ enfin, les articles auraient été
refusés par Nature et Science, réceptacles ordinaires
de ce genre d'annonces, car les analyses n'ont pas été jugées
suffisantes par les relecteurs pour justifier la création d'une
nouvelle espèce. Je détaillerai ce point demain.
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