jeudi 2 juillet 2015

Numérisation des fossiles vs ADN ancien

J'ai passé une partie de mon après-midi d'hier, 1er juillet, dans l'amphithéâtre de la galerie d'anatomie comparée et de paléontologie du Muséum national d'histoire naturelle. Le lieu est désuet, mais Antoine Balzeau y présentait une synthèse de ses travaux en paléoanthropologie, afin d'obtenir son Habilitation à diriger les recherches, et il était question de nouvelles technologies, et d'éthique.

Je ne rapporterai pas ici la présentation d'Antoine Balzeau. Il me suffit de dire qu'il est co-responsable de la plateforme AST-RX (prononcez Asterix) au Muséum : accès scientifique à la tomographie à rayons X. Et que ses travaux reposent sur l'étude, à partir d'images numérisées obtenues par tomographie, justement, de crânes d'hominidés anciens et de grands singes. C'est l'une des étoiles montantes de l'anthropologie virtuelle : plus besoin d'étudier les fossiles directement, si l'on dispose de modèles numériques assez précis après un scanner aux rayons X (je résume, c'est quand même un peu plus compliqué que ça).

Il a ainsi étudié la structure crânienne des chimpanzés, des hommes modernes, des néandertaliens. Il s'est également intéressé à des caractères particuliers sur les quelques spécimens d'australopithèques connus. Il a aussi analysé certains aspects du crâne de l'homme de Florès, au statut si controversé (il a un article sous presse à ce sujet).

Au delà de toutes ces remarquables études (j'ai noté au passage quelques références sur lesquelles j'essaierai de revenir dans un avenir pas trop lointain), j'ai découvert une question éthique liée à ces travaux que je n'avais jamais perçue encore. C'est Jean-Jacques Hublin, de l'institut Max Planck de Leipzig, en Allemagne, membre du jury, qui l'a formulée explicitement.

Depuis quelques années, les paléogénéticiens parviennent à extraire et à analyser les séquences d'ADN contenues dans des ossements fossiles d'où l'on pensait que ce ne serait jamais possible. Pour ne donner qu'un exemple, une équipe dirigée par Eske Willerslev, du Museum d'histoire naturelle de Copenhague, au Danemark, a ces dernières semaines présenté l'ADN de l'homme de Kennewick, un américain daté de 8 500 ans, ce qu'une précédente analyse, il y a une dizaine d'années, n'avait pas réussi à faire. On peut espérer dans un avenir plus ou moins proche, séquencer l'ADN d'individus très anciens.

Or, si dans le même temps on soumet tous ces ossements anciens à des faisceaux de rayons X afin d'en obtenir des images numériques à très haute résolution, on risque de dégrader l'ADN fossile encore plus. Plus ou moins pour les mêmes raisons qu'il est déconseillé de passer trop de radios médicales. Cela compliquerait, voire rendrait impossible, la tâche des paléogénéticiens.

Il y a seulement dix ans, les conservateurs des collections paléontologiques recevaient avec beaucoup de méfiance les demandes des paléogénéticiens qui voulaient prélever quelques morceaux d'os sur les spécimens afin d'y rechercher de l'ADN. Quand on voit le trou réalisé dans le bras du Neandertal original pour la première analyse d'ADN de ce groupe humain en 1997, on les comprend. La plupart cèdent aujourd'hui plus facilement : les prélèvements sont plus restreints, et les résultats plus assurés. Ils étaient sans doute moins réticents vis-à-vis de la numérisation, qui leur laissait espérer une moindre manipulation des fossiles eux-mêmes (et donc une meilleure conservation de ceux-ci). Ils vont désormais devoir faire des choix plus difficiles.

Il n'y aura sans doute pas de solution unique retenue dans le monde entier. Mais il devient urgent de diffuser des bonnes pratiques (Jean-Jacques Hublin a mentionné la parution prochaine d'un article à ce sujet). Et de mettre tous les paléontologues, généticiens et anatomistes, autour d'une table pour qu'ils dépassent ensemble leurs points de vue particuliers.




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